
Jacynthe Dessureault-Rompré, agr., Ph. D., professeure adjointe, Conservation et santé des sols, Département des sols et de génie agroalimentaire, Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, Université Laval.
Même si la santé des sols est devenue une expression dominante et omniprésente dans les sciences du sol et de l’environnement, le concept reste souvent flou parce qu’en fait la « santé » dans ce contexte est une métaphore. Cette représentation transmet toutefois de façon efficace l’importance des sols et de ses fonctions qui soutiennent la vie sur terre.
Au même titre que les humains, les sols doivent avoir un bon équilibre des conditions physiques, chimiques et biologiques pour fonctionner de façon optimale. La santé des sols reflète leur capacité à fonctionner dans l’écosystème pour soutenir la productivité, la qualité de l’environnement et la santé des plantes et des animaux, incluant l’humain.
Chaque année, on estime que 12 millions d’hectares de terres agricoles sont perdus à cause de la dégradation des sols.
Les pratiques agricoles modernes ont souvent été pointées du doigt pour la dégradation des sols. En effet, les pratiques agricoles intensives basées sur l’utilisation d’engrais et de pesticides de synthèse, la monoculture avec un retour de matière organique insuffisant, le maintien de sols nus pendant une période prolongée et l’utilisation abusive de machines lourdes ont tous perturbé, réduit ou inhibé l’équilibre naturel de l’agroécosystème, à un degré parfois quasi-irréversible. C’est pourquoi il ne faut plus attendre pour adopter de bonnes pratiques permettant de maintenir le sol vivant et en santé.
Maintenir la vie du sol et sa santé dans les productions en champ
Que l’on cultive des légumes, des céréales ou des arbres en pépinière, il existe plusieurs grands principes généraux pour assurer une santé globale des sols.
- Protéger son sol. Ce qui veut dire minimiser le travail du sol et éviter la compaction. La diminution des interventions de travail du sol sera bénéfique pour la compaction, mais il est en outre possible d’utiliser dans une rotation ou dans un entre- rang des plantes à racines puissantes qui pourront créer des biopores dans le sol.
- Diversifier ses cultures. Ce n’est pas toujours évident dans certains types de production, mais cela permet de maintenir un meilleur équilibre entre les organismes pathogènes et les organismes bénéfiques dans le sol, tout comme de varier les types de racines, les apports de matières organiques et les besoins en nutriments.
- Utiliser de façon raisonnée les intrants. D’abord en apportant au sol de la matière organique régulièrement. Surtout dans les types de productions qui reçoivent très peu de résidus de cultures.
- S’assurer d’utiliser les principes de la lutte intégrée. L’utilisation exagérée de pesticides nuit grandement à la santé des organismes du sol.
- Fertiliser de façon durable, puisqu’un déséquilibre en nutriments dans les sols entraînera des conséquences sur son fonctionnement, mais aussi sur l’environnement qui l’entoure.
Par exemple, il est possible d’améliorer la santé des sols en ne laissant pas l’entre-rang à nu et en augmentant la diversité des espèces dans l’entre-rang.
La diversification des espèces cultivées et l’utilisation raisonnée des intrants, sans oublier les apports réguliers de matières organiques, permettront de soutenir la vie du sol et sa santé.
Principes pour maintenir la vie du sol et un sol en santé
Types de gestion | Principes | Exemples |
La protection du sol | 1. Minimiser les perturbations | Réduire le travail du sol |
2. Minimiser la compaction | Utiliser des plantes à racines puissantes, par exemple : luzerne, mélilot, radis fourrager | |
La diversification et l’inclusion de cultures pérennes | 3. Maximiser les racines vivantes | Ajout d’intercalaires ou d’engrais verts |
4. Maximiser la couverture du sol | Ajout d’intercalaires, d’engrais verts, de paillis organique | |
5. Maximiser la biodiversité | Utiliser des mélanges pour les intercalaires et les engrais verts/diversifier les rotations même si de longue durée | |
L’utilisation raisonnée des intrants | 6. Apporter des amendements organiques/du compost | Compost, fumier, biosolides |
7. Utiliser les principes de la lutte intégrée | Dépister et utiliser les seuils d’intervention | |
8. Fertiliser de façon durable | La bonne source d’engrais, la bonne dose, au bon moment et au bon endroit |
Et les racines dans tout ça ?
Les racines constituent le moteur principal de la vie du sol. En effet, une partie importante du carbone fixé par les plantes lors du processus de la photosynthèse sera relâchée dans le sol par les racines via le processus d’exsudation racinaire, mais aussi grâce au processus de décomposition des racines. Les exsudats racinaires renferment des molécules organiques qui servent de nourriture facilement disponible pour les microorganismes du sol. Il s’agit en quelque sorte du carburant à la base de la vie du sol. C’est pourquoi l’abondance des microorganismes est toujours plus importante à proximité des racines dans un sol. Un sol vivant est donc un sol habité à la fois par une variété d’organismes et par cette partie cachée des plantes que représente le système racinaire. Les racines fournissent la nourriture de base aux microorganismes qui, en retour, décomposent la matière organique du sol pour libérer les éléments nutritifs aux racines des plantes.
Les racines et la chaîne alimentaire des sols
La figure suivante qui suit résume bien le concept de la santé des sols, en illustrant aussi l’importance des racines et d’une gestion durable des sols pour assurer cette santé.
La santé des sols conceptualisée
« Des sols sains pour une population et une planète en bonne santé : la FAO appelle à inverser le processus de dégradation des sols. »
Cette phrase puissante a été déclarée par M. Qu Dongyu, directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en janvier 2022. Nous entrons dans une ère où l’humain réalise la richesse de ce qui se trouve sous ses pieds et reconnait l’importance des sols en santé pour soutenir les services de production (alimentaire et autres), de régulation (cycle de l’eau, changements climatiques, biodiversité), de support (infrastructure de toutes sortes) et de culture (paysage, traditions).
Heureusement, il n’est pas trop tard pour prendre soin de nos sols fragilisés et souvent malmenés. Prendre soin de ses sols en fin de compte, ce n’est pas si compliqué. Le respect des 8 principes présentés dans cet article va contribuer à ce que nos sols dégradés redeviennent des sols en santé et source de vie. Les recherches en santé des sols réalisées par les chercheurs et chercheuses du RQRAD vont également contribuer à apporter de nouvelles stratégies de restauration.